ANDREE FOUGERE
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LUTTE CONTRE LE TRAVAIL ILLEGAL ET OBLIGATION DE VERIFICATION


Les dispositions relatives à la lutte contre le travail illégal ou à l’emploi de main d’œuvre étrangère en situation irrégulière, imposent au maître d’ouvrage une obligation de vérification, à peine de sanctions financières et pénales.

SUR L’OBLIGATION DE VERIFICATION.

I/ A l’égard de la main d’œuvre française.

Le Code du travail consacre tout un chapitre à la lutte contre le travail illégal sous l’intitulé « Obligations et solidarité financière des donneurs d'ordre et des maîtres d'ouvrage », comprenant les articles L. 8222-1 et suivants qui imposent à toute personne concluant « un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce » de vérifier, périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'est bien acquitté des formalités prévues aux articles L. 8221-3  relatif au travail dissimulé par dissimulation d'activité et  L. 8221-5 relatif au travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié.

 

Il s'agit des formalités suivantes :

  • immatriculation au registre du commerce et des sociétés, au registre des métiers ou au registre des entreprises ;
  •  accomplissement des déclarations auxquelles le cocontractant est soumis auprès des organismes de protection sociale ou de l'administration fiscale (notamment les déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales et la déclaration nominative préalable à l'embauche de tout salarié prévue à l'article L. 1221-10 du Code du travail) ;
  •  délivrance de bulletins de paie mentionnant les heures réellement effectuées.

 

En vertu de l’article D.8222-5 du Code du travail, « La personne qui contracte, lorsqu'elle n'est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l'article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l'article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu'à la fin de son exécution :

1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l'article L. 243-15 émanant de l'organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s'assure de l'authenticité auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.

2° Lorsque l'immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu'il s'agit d'une profession réglementée, l'un des documents suivants :

a) Un extrait de l'inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) ;

b) Une carte d'identification justifiant de l'inscription au répertoire des métiers ;

c) Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu'y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l'adresse complète et le numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d'un ordre professionnel, ou la référence de l'agrément délivré par l'autorité compétente ;

d) Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d'un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d'inscription. »

A cet égard il faut préciser que pour la Jurisprudence :

1- « Les documents énumérés par l'article D.8222-5 du code du travail sont les seuls dont la remise permet à la personne dont le cocontractant est établi en France lorsqu'elle n'est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l'article D.8222-4, de s'acquitter de l'obligation de vérification mise à sa charge par l'article L. 8222-1 (Cass., 2e Civ., 11 février 2016, n° 15-10168).

"Il s'ensuit que n'ayant pas procédé aux vérifications préalables qui lui incombaient en sa qualité de donneur d'ordre, la production d'une attestation sur l'honneur, des bordereaux déclaratifs du sous-traitant et de divers documents bancaires étant insuffisants pour pallier cette carence, la société F.A. n'a pas satisfait à son obligation de vigilance au titre de la période en cause, de sorte que le principe de la mise en oeuvre de sa solidarité financière prévue par l'article L. 8222-2 du code de la sécurité sociale n'est pas sérieusement contestable".

Cour d’appel de Paris Pôle 6 chambre 12, 1er octobre 2021, N° 16/06337

 

2- L’obligation de vérification impose au maître d’ouvrage ou au donneur d’ordre, non seulement de demander à ce que lui soient communiqués les justificatifs du respect des obligations sociales par son cocontractant mais aussi de s'assurer de la validité de ces documents (CA Paris, 3 mai 2012, n° 10/02460 : JurisData n° 2012-010677).

 

Faute d’avoir accompli ces obligations le donneur d’ordre encourt :

  • Les sanctions financières stipulées à l’article L. 8222-2 du code du travail qui dispose :

« Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé 

1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ;

2° Le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié ;

3° Au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues par lui à raison de l'emploi de salariés n'ayant pas fait l'objet de l'une des formalités prévues aux articles L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie. »

  • Les sanctions pénales stipulées à l’article L. 8224-1 du code du travail qui dispose « Le fait de méconnaître les interdictions définies à l'article L. 8221-1 est puni d'un emprisonnement de trois ans et d'une amende de 45 000 euros. »

Des sanctions complémentaires sont prévues aux articles L.8224-2 à L.8224-6.

 

II/- A l'égard de l’emploi de main d’œuvre étrangère.

La situation est identique en ce qui concerne l'emploi de main d'œuvre étrangère :

En vertu des articles L.8251-1 et L.8251-2 du code du travail,

« Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. »

« Nul ne peut, directement ou indirectement, recourir sciemment aux services d'un employeur d'un étranger non autorisé à travailler.

Il est également interdit à toute personne d'engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu au premier alinéa. »

 

En vertu de l'article L. 8256-2 du Code du travail réprimant l'emploi de main d'œuvre étrangère non munie d'un titre de travail et l'article L. 8254-1 imposant une vigilance similaire à celle ci-dessus exposée, le donneur d'ordre recourant à cette main d'œuvre par l'intermédiaire d'un sous-traitant devra s'assurer que son cocontractant s'est bien acquitté de l'accomplissement des formalités prévues à l'article L. 8251-1 du Code du travail, c'est-à-dire s'être assuré que l'étranger est muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France et dans la catégorie professionnelle, la profession ou la zone géographique correspondant à l'activité envisagée.

L'article D. 8254-2 du Code du travail précise en outre que le donneur d'ordre se doit de se voir remettre par le cocontractant, lors de la conclusion du contrat, une « liste nominative des salariés étrangers employés par ce dernier » et soumis à autorisation de travail, précisant bien pour chaque salarié « sa date d'embauche ; sa nationalité ; le type et le numéro d'ordre du titre valant autorisation de travail ».

 

Sanctions : Le défaut d'accomplissement de ces obligations expose ici encore le donneur d'ordre défaillant :

  • A une solidarité financière avec le sous-traitant et un risque de condamnation pour complicité d'emploi de main-d'œuvre étrangère non munie d'un titre de travail.
  • A une sanction pénale prescrite par l’article L. 8256-2 du Code du travail qui dispose :

« Le fait pour toute personne, directement ou par personne interposée, d'embaucher, de conserver à son service ou d'employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France, en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1, est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 15 000 euros.

Le fait de recourir sciemment, directement ou indirectement, aux services d'un employeur d'un étranger non autorisé à travailler est puni des mêmes peines.

Ces peines sont portées à un emprisonnement de dix ans et une amende de 100 000 euros lorsque l'infraction est commise en bande organisée. »

 

SUR LE CHAMP D’APPLICATION DE L’OBLIGATION DE VERIFICATION.

 

Toutes les dispositions précitées s’appliquent assurément dans les relations du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordre avec son cocontractant.

Mais qu’en est-il en cas de recours du prestataire à la sous-traitance ?

En son état actuel, la jurisprudence limite l'obligation de vigilance imposée par l'article L. 8222-1 du Code du travail à la seule relation entre donneur d'ordre et sous-traitant :

« La preuve d'un contrat de travail unissant directement BOUYGUES TELECOM, DANONE, ROCHE ou la Mairie de Paris (Musée Cernuschi) soit avec Monsieur Farid AISSAOUI soit avec la société CIS n'est pas rapportée ;

Il s'ensuit que mises dans la cause sur le fondement des articles L. 8222-1 et suivants, les sociétés BOUYGUES TELECOM, DANONE, ROCHE et la Mairie de Paris ne peuvent pas voir rechercher leur responsabilité ni être tenues solidairement avec l'employeur de Monsieur Farid AISSAOUI puisqu'il ne leur appartenait pas de s'assurer que la société CIS s'acquittait des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du Travail ; »

Cour d’appel de Paris Pôle 6 Chambre 4, 4 septembre 2012 N°10/04824

 

Cependant, le maître d’ouvrage peut être sanctionné au même titre que son cocontractant quand il est établi qu’il a connaissance du travail illégal :

1/- Ainsi aux termes de l’article L.8221 est notamment interdit :

« … 3° Le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé. »

 

2/- D’autre part, en vertu de l'article L. 8222-5 du Code du travail, lorsque le maître d’ouvrage est informé préalablement d'une situation de travail dissimulé du fait d'un sous-traitant, quel que soit le niveau de sous-traitance, par un agent de contrôle, un syndicat, une association professionnelle ou une institution représentative du personnel, il est tenu d'enjoindre aussitôt à l'entreprise principale cocontractante et titulaire du marché, de faire cesser sans délai la situation irrégulière. Cette injonction doit être faite par lettre recommandée avec accusé de réception conformément à l'article R.8222.2 du Code du travail.

À défaut, il est tenu solidairement avec son cocontractant au paiement des impôts, taxes, cotisations, rémunérations et charges mentionnés aux 1° à 3° de l'article L. 8222-2, dans les conditions fixées à l'article L. 8222-3 (Code du travail article L. 8222-5, al. 2).

La loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale (JO 11 juill. 2014) a étendu ce régime à tous les cocontractants du maître d'ouvrage ou du donneur d'ordre et plus seulement aux sous-traitants (Code du travail article L. 8222-5, al. 1er).

 

3/- Enfin  l’article L. 8256-2 du Code du travail qui sanctionne le fait « pour toute personne, directement ou par personne interposée » d'embaucher, de conserver à son service ou d'employer pour quelque durée que ce soit un étranger en situation irrégulière permet de poursuivre le maître d’ouvrage qui aurait sciemment participé à l’infraction.

La preuve de l’élément intentionnel est très facilement admise. Elle est facilitée par le fait que la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que, dès lors que l'employeur n'ignore pas la qualité d'étranger du salarié, il lui appartient de vérifier que ce dernier est titulaire, et pour quelle durée, d'un titre l'autorisant à travailler en France (Cass. crim., 20 mai 1992 : JurisData n° 1992-001892 ; Bull. crim. 1992, n° 198. – Cass. crim., 29 mars 1994 : JurisData n° 1994-002909 ; Bull. crim. 1994, n° 121  – Cass. crim., 6 mai 1997 : JurisData n° 1997-003027 ; Bull. crim. 1997, n° 178).

En définitive, la seule constatation de l'emploi irrégulier d'un étranger permet de déduire l'élément intentionnel de l'infraction et seule la présentation de faux titres de travail par le salarié permet d'exonérer l'employeur de sa responsabilité (CA Paris, 6 janv. 1997 : JurisData n° 1997-022007).


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