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ASSURANCE VIE - RECOURS EN CAS DE SUSPISCION D'ABUS DE FAIBLESSE


En cas de suspiscion d'abus de faiblesse, la Mutuelle ou l'assureur sont confrontés à deux obligations contradictoires:

1° L’obligation légale et contractuelle de verser le capital décès au dernier bénéficiaire désigné par le souscripteur;

2° L’obligation de prendre en considération une suspicion d’abus de faiblesse pour bloquer le capital décès dans l’attente d’une décision judiciaire.

La Jurisprudence propose une solution fondée sur le principe de prudence.

Corrélativement, se pose la question de l'obligation de procéder à une dénonciation ou à une déclaration de suspicion d’abus de faiblesse.

 

I/- LA SOLUTION JURISPRUDENTIELLE FONDEE SUR LE PRINCIPE DE PRUDENCE.

 

En vertu des articles 1103 du Code Civil, et L.223-10 du Code de la mutualitéqui la Mutuelle a l’obligation d’exécuter la clause bénéficiaire du contrat d'assurance vie en versant le capital au dernier bénéficiaire désigné par lui.

Mais s’il y a suspicion d’abus de faiblesse, l'organisme d'assurance risque d’encourir des sanctions pénales et civiles en versant le capital décès au dernier bénéficiaire.

Les sanctions pénales.

En vertu de l’article 223-15-2 du Code Pénal : « Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375.000 € d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. »

En vertu de l’article 121-7 du Code Pénal : « Est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. »

Les éléments constitutifs de la complicité impliquent :

  • d’une part un acte d’aide ou d’assistance,
  • une intention coupable : le complice doit s’être associé avec conscience et volonté à la commission de l’infraction principale.

Le versement d’un capital décès en connaissance d’une suspicion d’abus de faiblesse confortée par un certificat médical pourrait présenter le risque d’être interprété comme un acte intentionnel.

Les sanctions civiles.

- La clause Bénéficiaire peut être remise en cause pour vice du consentement. C’est ainsi que le recours au délit d’abus de faiblesse est parfois envisagé soit alternativement, soit en complément d’un vice du consentement.(Articles 1130 et suivants du Code Civil)

- Une autre voie d’action demeure à la disposition de l’héritier ou du bénéficiaire désireux d’obtenir l’annulation d’une modification ou d’un contrat tardif : il s’agit de l’action en nullité pour insanité d’esprit fondée sur l’article 414-1 du Code Civil, qui dispose qu’il faut être sain d’esprit pour faire un acte valable. Cette action impose de démontrer l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.

- Lorsque l’auteur de l’acte est décédé, l’article 414-2 prévoit trois cas permettant aux héritiers d’attaquer l’acte :

« - Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental.

- S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice.

- Si une action a été introduite, avant son décès, aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle, ou si effet a été donné au mandat de protection future. »

 

Pour les protéger de poursuites intempestives, la jurisprudence reconnaît à l’assureur ou à la mutuelle d’assurance le droit de retenir le capital décès dans l’hypothèse de plainte pour abus de faiblesse :

« M. Hugues P. a, dès le 8 juin 2011, fait connaître à la société ALLIANZ VIE qu’il s’opposait à ce qu’elle verse à sa sœur le montant du capital de l’assurance vie dont sa sœur était la bénéficiaire en la menaçant, dans le cas inverse, d’engager une procédure à son encontre.

Ces menaces ont été réitérées… dans une lettre adressée à l’assureur.

De ce fait, la société ALLIANZ VIE, qui devait légitimement préserver ses intérêts et faire preuve de prudence face à la détermination affichée par M. Hugues P… n’a pas commis de faute en retenant les fonds, une instance en référé intentée par Madame Brigitte P. le 7 octobre 2011 s’étant conclue par un débouté le 12 avril 2012 et cette même société ayant versé à Madame Brigitte P. la somme de 171.785,71 € sur ordonnance du Juge de la mise en état du 13 janvier 2014.

Ainsi le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Madame Brigitte P. de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la société ALLIANZ VIE. »

(C.A. RENNES, 1ère Ch., 8 mars 2016, N° 15-01009

Mme Brigitte P. / M. Hugues P. Compagnie ALLIANZ VIE)

Au-delà de la rétention du capital décès, se pose la question d’une obligation pour l'assureur ou la mutuelle de déclarer la suspicion d’abus de faiblesse.

 

II/- L'OBLIGATION DE DENONCER OU DECLARER LA SUSPISCION D’ABUS DE FAIBLESSE

Aucun texte ne prévoit l’obligation pour l’assureur de procéder à une déclaration de soupçon d’abus de faiblesse. Toutefois, cette déclaration apparait justifiée sur le fondement de l’état de nécessité.

 

1° SUR L’ABSENCE D’ENCADREMENT LEGAL

Tant les dispositions figurant dans le Code Monétaire et Financier pour la déclaration en matière de lutte contre le blanchiment, que celles se trouvant dans le Code Pénal relatives à l’obligation générale de dénonciation de certaines infractions ne sont pas adaptées ou carrément inapplicables.

D’autre part, si l’article 40 du Code de Procédure Civile prévoit une obligation de déclaration au Procureur de la République concernant la connaissance au cours des fonctions de tout crime ou tout délit, cette disposition ne s’adresse qu’à « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire », ce qui exclut l’assureur ou la mutuelle d’assurance.

 

a) Sur l’inadaptation des dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Avant que l’ordonnance du 30 janvier 2009 ne vienne réformer l’obligation de déclaration, l’article 562-2 du Code Monétaire et Financier imposait à différentes personnes et notamment aux mutuelles d’assurance de déclarer à TRACFIN, c’est-à-dire à la cellule française de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, les sommes inscrites dans leurs livres et les opérations portant sur ces sommes qui pouvaient « provenir du trafic de stupéfiants, de la fraude aux intérêts financiers des Communautés européennes, de la corruption ou d’activités criminelles organisées ou qui pourraient participer au financement du terrorisme. »

 

L’ordonnance du 30 janvier 2009 a innové en retenant une conception élargie de l’infraction d’origine permettant de dégager les capitaux illicites:

L’article L. 561-15 du Code Monétaire et Financier étend en effet le champ d’application de la déclaration de soupçon aux infractions graves, c’est-à-dire aux infractions passibles « d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou participant au financement du terrorisme ».

Or, la quasi-totalité des infractions susceptibles de générer des profits sont justement punies d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an : escroquerie, vol, abus de confiance, abus de faiblesse…

 

Cependant, l’élargissement du champ d’application n’a pas réellement d’incidence sur l’obligation de déclarer une suspicion d’abus de faiblesse, dans la mesure où la déclaration de soupçon ne porte  que sur « les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent (…) qu’elles proviennent d’une infraction. »

 

Or les sommes inscrites dans les livres de l'assureur ou de la mutuelle au titre d'un contrat d'assurance vie ne proviennent pas d'un délit mais de l'exécution de la convention conclue avec l'assuré ou l'adhérent.

Dans le cas d'une suspiscion d'abus de faiblesse, il appartiendrait plutôt à l’établissement financier destiné à recueillir le capital décès de dénoncer à TRACFIN l’infraction commise par le dernier bénéficiaire désigné..

 

En conclusion, lorsque l’assureur doit exécuter un contrat d’assurance vie en versant un capital décès, il ne semble pas qu’il puisse effectuer une quelconque déclaration à TRACFIN car le capital décès inscrit dans ses livres ne provient pas d’une infraction.

 

b) Sur l’inapplication des dispositions sanctionnant la non-dénonciation de délits

 

L’article 434-3 du Code Pénal sanctionne « le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles infligées à un mineur de 15 ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives. »

 

Cet article ne saurait fonder l’obligation pour l’assureur ou la mutuelle de déclarer un abus de faiblesse au Parquet puisque l’infraction en question n’est aucunement visée par ledit article.

 

Il ne faut toutefois pas en conclure que l’assureur ou la mutuelle se retrouvent dans l’impossibilité de dénoncer à la justice ses soupçons d’abus de faiblesse alors que dans le même temps, une telle abstention est susceptible de lui faire encourir des sanctions civiles..

La solution est dans le recours à l’état de nécessité.

 

2° LA DECLARATION DE SOUPÇON D’ABUS DE FAIBLESSE JUSTIFIEE PAR L’ETAT DE NECESSITE

 

En vertu de l’article 121-7 du Code Pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

L’irresponsabilité pénale implique une triple preuve :

  1. qu’il existe un péril actuel ou imminent
  2. que l’acte commis, c’est-à-dire la réaction de sauvegarde, est indispensable pour éviter le péril
  3. que l’intérêt sauvegardé a une valeur plus importante que l’intérêt sacrifié.

 

Ces trois conditions apparaissent présentes dans le cas d’abus de faiblesse :

  1. Si un changement de clause Bénéficiaire a été opéré par une personne en situation de faiblesse, il y a bien danger actuel concernant ses biens ;
  2. L’acte de dénonciation est indispensable pour mettre un terme à un tel danger ; l’information du Procureur, voire de la famille de la victime, si l’auteur des faits dénoncés est extérieur à celle-ci, est dès lors la meilleure solution.
  3. Enfin, l’intérêt sauvé, c’est-à-dire la préservation de l’intégralité du patrimoine de la victime, apparaît plus important que la discrétion entourant ce dernier.

 

Malheureusement, la jurisprudence n’a jamais eu l’occasion de se prononcer en la matière.

Nous pouvons simplement relever un arrêt de la Cour d’Appel de PARIS du 17 mai 2002 aux termes duquel les Magistrats ont estimé qu’un banquier ayant des soupçons quant à l’existence d’un abus de faiblesse manque à son obligation de prudence ou de diligence en se limitant à une mise en garde de la victime sans avertir le fils de cette dernière.

(C.A. PARIS, 7 septembre 2010, N° 09/06788)

 

En conclusion, confrontés à un cas de suspicion d’abus de faiblesse, l'assureur ou la mutuelle disposent de deux "armes"

  • en exécution d’une obligation de prudence, bloquer le versement du capital décès jusqu’à ce qu’une décision pénale ou civile tranche la difficulté ;
  • en vertu d’une obligation de vigilance et de l’article 1217 du Code Pénal, déclarer la suspicion d’abus de faiblesse au Procureur de la République.

 


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